mardi 18 octobre 2011

Bakou : nuit blanche au pays de l’or noir


Ex-soviets et nouveaux riches, bonjour Azerbaïdjan.
Une Lada, un Porsche Cayenne, une Lada, un Porsche Cayenne. C’est comme ça, Bakou. Une alternance de bling-bling et de pots de yaourt au milieu de laquelle des bulldozers rasent un passé miteux pour planter des grues qui construisent, 24 heures sur 24, l’Azerbaïdjan de demain. Les hôtels 5 étoiles poussent comme des champignons. Le Kempinski vient d’ouvrir. Le Fairmont, collé à l’ancien bâtiment du KGB, ne saurait tarder. Les Four Seasons, Marriott, Hilton, Dedeman suivent avec, en ligne de mire, l’Eurovision au printemps 2012. Le présent se conjugue à la va-comme-je-te-pousse, sur un fond archicontrasté. Cela s’entend, en plus de se voir. Tous les Azéris parlent russe, sauf les moins de 20 ans. Les vieux sont nés soviétiques et ont pleuré la mort de Brejnev, les jeunes apprennent la chute du Mur à l’école. Le changement date officiellement de 1991 : le pays célèbre le 18 octobre ses vingt ans d’indépendance. Mais ici, on dit que la vraie révolution est celle, économique, de 1994. Les revenus du pétrole et du gaz, jusqu’alors aux mains de Moscou, reviennent au pays (ou presque). Finie (en principe) la bataille autour des pipelines et des stations offshore, comme au temps de James Bond dans Demain ne meurt jamais.
La nouvelle donne économique naît grâce aux vingt et un «contrats du siècle» entre l’Azerbaïdjan et les plus grandes compagnies pétrolières. Pour la population, cela revient à passer de Good Bye Lenine à Pretty Woman. L’or noir se traduit en boutiques de luxe : Bottega Veneta et Yves Saint Laurent côté ambassade de France, Gucci ou Tom Ford en front de mer, près du Park Bulvar, le centre commercial à l’américaine flambant neuf.
À la fermeture des magasins, la vie nocturne prend le relais. Nikki, executive woman, dîne à l’Eleven, pour la musique lounge et la vue sur Bakou, puis prend un verre à l’Opera Lounge, bar branché à côté du restaurant Le 150, non loin du Hyatt. Quinze ans à New York lui ont enseigné les codes de l’Ouest, talent prisé à Bakou, où elle se lance dans le conseil. Notamment auprès du magazine lifestyle Boutique, convaincue que la photo de mode azerbaïdjanaise a besoin d’un coup de balai. L’histoire de son amie Gunai est une variante de la sienne. Des parents artistes, une soeur mannequin, la vie à Londres puis à Paris. À Bakou, elle est revenue monter son entreprise d’événementiel, pour des Azéris friands de soirées fastes. Nikki et Gunai rejoignent Anar, propriétaire de cinq bateaux de pêche à l’esturgeon, et Ali, psychiatre le jour, adepte des dance floors la nuit, au Chinar, au pied du funiculaire.
Petit déjeuner au caviar
C’est le Bouddha Bar baki, l’endroit le plus tendance de la ville. Plus tard, on joue les prolongations à l’Ice Club, la dernière ouverture, ou au Hezz Club. La boîte cartonne avec ses soirées mix orchestrées par un beau gosse aux platines, DJ Mansour, le Bob Sinclar local. Le soleil se lève sur la mer Caspienne, le lit appelle ceux qui ont trop taquiné la vodka. Anar téléphone à son chauffeur qui ronfle dans la berline. Ali, lui, sollicite Dem Sürme («conduire à jeun»), service de chauffeur qui prend le volant de votre voiture pour vous ramener à la maison. Car si la cigarette est omniprésente dans les lieux publics, le moindre verre d’alcool est proscrit avant de conduire.
Pas d’after pour les noctambules, mais une tradition : le petit déjeuner au caviar. C’est l’heure de changer de tribu pour rejoindre Khagani au marché central, l’autre face de Bakou. Kaghani, la petite cinquantaine tonique, est accompagné de son chauffeur et de son homme de main. Ce moneymaker, n’en déplaise aux autorités, qui l’ont dans le collimateur, vit au Luxembourg, à Paris, à Singapour. Il projette, avec un sommelier parisien, de monter une école hôtelière à Bakou et de construire des caves sur mesure pour les nouveaux riches. En toute simplicité, il dîne au restaurant VIP le Sumakh (idéal pour découvrir la cuisine qui fit fondre Alexandre Dumas dans son Voyage au Caucase), où il apporte sa bouteille de vin, un Château La Tour 1975 déniché chez le caviste Caspian Crystal. Puis prend sa tartine de caviar à l’heure du café. La vente des petits oeufs noirs, au marché, est illicite et cela donne au petit déjeuner un délicieux goût d’interdit. Quatre cents grammes de caviar frais sur du pain lavash et son beurre de bufflonne, à la sortie des boîtes et sur un coin de table dans une gargote… Un peu trash, un peu chic, c’est ça, Bakou.
Par Julie Malaure
Le Point

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